Du canal et de la rivière : une métaphore de la condition humaine
- Marques Carneiro
- il y a 7 jours
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Dernière mise à jour : il y a 4 jours

Le canal est une œuvre humaine. Il est creusé, dirigé, encadré par des berges artificielles ; chaque détour, chaque passage a été planifié. Il a une fonction, une destination, une utilité. À l’inverse, la rivière est sauvage. Elle naît de sources invisibles, se fraie un chemin au gré des reliefs, déborde parfois, s’assèche ailleurs. Elle est libre, imprévisible, souvent indomptable.
Ces deux figures – canal et rivière – peuvent servir de métaphores de l’existence humaine telle que la pense la phénoménologie existentielle. L’homme, comme le canal, naît dans un monde déjà structuré : une culture, une langue, une histoire, des normes sociales. Il est « jeté » dans un monde, comme l’écrit Heidegger (Geworfenheit), et ce monde l’oriente, le façonne, le conditionne. Nous naissons dans des canaux : ceux de l’éducation, du travail, des attentes sociales.
Mais ce n’est là qu’une partie de notre être. Car l’existence, pour Heidegger comme pour Kierkegaard, ne se réduit pas à ce que le monde fait de nous. Il y a en l’homme une possibilité d’être autrement – une possibilité d’être authentique. L’existence authentique, c’est celle qui ne suit pas simplement le cours qu’on lui a tracé, mais qui s’affronte à l’angoisse de la liberté, à la responsabilité de ses choix, à la possibilité du sens.
Le canal incarne la vie inauthentique : celle où l’on suit le flot imposé, sans jamais interroger sa direction. La rivière, elle, symbolise la vie authentique : exposée à l’errance, à l’incertitude, mais aussi à la vérité de ce que signifie être. Être soi, ce n’est pas s’affranchir complètement du monde – car le monde est notre horizon, notre lieu d’ancrage – mais c’est cesser de s’y dissoudre, pour s’y engager librement.
La phénoménologie existentielle nous rappelle que nous ne sommes ni entièrement libres, ni totalement déterminés. Nous sommes conditionnés, oui – mais nous avons la capacité de répondre à ce conditionnement. Ce que Sartre appellera notre responsabilité radicale, Heidegger notre projet d’être, et Kierkegaard notre choix de soi. Nous pouvons faire de notre vie une rivière, même si elle a commencé dans un canal.
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